SOPRO

SOUFFLE (SOPRO)
de Tiago Rodrigues

SCÈNE 3


DIRECTEUR.- Vivre à la frontière. Vivre dans un endroit de passage. Vivre entre les coulisses et la scène. Vivre sur le pont qui relie la berge de la réalité à celle de la fiction. Savoir plonger dans le lit du fleuve qui coule entre ces deux rives. Savoir nager dans le courant de mots qui sépare le monde et la scène. Attendre, surveiller, écouter. Etre le sauveteur, pour qui un bon jour est un jour sans avoir eu à travailler, sans avoir eu à tremper son corps dans les eaux du fleuve. Attendre l'accident, l'erreur qui nous rappelle que le théâtre fait partie du monde. Et quand l'acteur, dans l'angoisse de l'oubli, dans le trébuchement inattendu de la mémoire, s'apprête à se noyer dans la réalité, quand l'acteur se rappelle qu'il est mortel, qu'il n'est pas un personnage parfait mais un corps emprunté et faible, alors, le sauver avec des mots, lui souffler à l'oreille, le réanimer, le gonfler de texte, lui rendre la pensée, le sens et le geste. Et aujourd'hui, parce que la réalité nous noie, parce que la vie a submergé les rives de la fiction, voilà de quoi nous devons parler, voilà ce que nous devons montrer : cet instant où le sauveteur plonge dans les eaux du fleuve. Le souffleur, toi, pas un acteur jouant le rôle d'un souffleur, mais un vrai souffleur, toi, sur scène, te voir donner le texte aux acteurs, les sauver. Ecrire l'histoire de l'accident, l'histoire du sauveteur pendant l'accident.

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